Bien que la course à pied soit très populaire et ait de plus en plus d’adeptes, j’entends plusieurs mythes qui entourent cette activité physique dans ma pratique. L’un des plus persistants est qu’elle serait mauvaise pour la santé des articulations, plus précisément pour le cartilage articulaire — un mythe que je tenterai de démystifier dans cet article.
- Qu’est-ce que le cartilage articulaire?
- Qu’est-ce que la dégénérescence articulaire?
- Est-ce que la course à pied accélère le processus de vieillissement du cartilage?
- Conclusion à retenir de cette revue de la littérature
- Recommandations cliniques
Qu’est-ce que le cartilage articulaire?
D’abord, définissons brièvement le cartilage articulaire. Il s’agit en fait d’une structure relativement lisse qui sert à minimiser les forces de friction, ou le frottement, dans l’articulation en lui permettant de bouger librement.
Qu’est-ce que la dégénérescence articulaire?
Il existe un processus de dégénérescence appelé « arthrose ». L’arthrose peut se définir comme une usure prématurée du cartilage articulaire ou un vieillissement prématuré de l’articulation pouvant s’accompagner ou non de douleur.
Bien que cette définition puisse sembler simple, l’arthrose est en fait un phénomène un peu plus complexe que ce que vous pouvez penser. Si elle représente en effet une forme d’usure du cartilage, ses causes sont moins évidentes. En réalité, de multiples éléments jouent un rôle dans son développement : la génétique, l’historique de blessures, la biomécanique particulière de la personne, l’inflammation, la capacité d’adaptation de l’articulation, etc. Pour obtenir plus d’information sur le sujet, je vous recommande cet article qui expose deux nouvelles théories sur les causes de l’arthrose.
Est-ce que la course à pied accélère le processus de vieillissement du cartilage?
Vous avez certainement déjà entendu que la course à pied, en raison des impacts répétés sur l’asphalte, ne peut que détruire les articulations. Cependant, la réalité est bien différente et les études scientifiques tendent progressivement à démontrer le contraire. En effet, de vieilles études animales in vitro (mort) pouvaient nous laisser penser que le cartilage ou les articulations toléraient mal les impacts répétés et que plus les compressions étaient importantes, plus la dégénérescence l’était aussi. Par contre, les études chez les animaux in vitro ne sont pas représentatives de ce que l’on observe chez les humains vivants.
Une étude très récente (revue systématique) publiée en 2022 a rassemblé les résultats de plusieurs études scientifiques parues dans les années précédentes et les conclusions générales sont les suivantes :
- Les changements structurels au cartilage lors de la course sont temporaires. En effet, les compressions répétées pendant la course amincissent temporairement le cartilage, mais ce dernier devient plus épais dans les jours suivants, pendant que le corps récupère.
- De façon générale, chez les gens en bonne santé, la course n’endommage pas les cartilages (genou, cheville, pied), même après des années.
- Les cartilages des coureurs expérimentés semblent plus résistants et moins affectés par la course.
- Même l’ultra-distance semble bien tolérée chez les coureurs entraînés.
Ces conclusions renversantes invitent donc à repenser le paradigme de la course qui crée de l’usure. Cependant, comme toute étude a ses limites, voici celles de cette revue systématique :
- La majorité des études incluses ont été menées chez des gens en santé, ce qui limite les recommandations chez les personnes ayant des douleurs ou des problèmes articulaires préexistants. En effet, plus d’études sont nécessaires afin de tirer des conclusions chez cette population. (J’ai cependant ajouté deux études dans les références dont les conclusions démontrent que pour les coureurs avec de l’arthrose du genou, la course n’a pas aggravé la sévérité de l’arthrose ni le niveau de douleur comparativement à une population sédentaire.)
- Uniquement le cartilage a été évalué et non toutes les structures de l’articulation.
- La majorité des coureurs dans les études étaient des coureurs amateurs et non des coureurs de compétition.
- Finalement, il y avait d’importantes différences entre les études relativement aux caractéristiques des participants (sexe, niveau d’entraînement), aux protocoles de course (distance, temps, vitesse, surface) et aux protocoles d’imagerie (types d’appareils, qualité d’image, analyses).
Conclusion à retenir de cette revue de la littérature
Les coureurs en santé ne devraient pas craindre d’endommager leurs cartilages (genou, cheville, pied). Le corps s’adapte dans la mesure où le stress appliqué ne dépasse pas sa capacité d’adaptation.
Recommandations cliniques
Bien que les conclusions de cette revue de la littérature soient encourageantes en ce qui concerne l’usure des membres inférieurs et la course à pied, il n’en reste pas moins que les coureurs peuvent développer des blessures. En effet, pour un coureur débutant, le risque de voir apparaître des douleurs peut être plus élevé si l’entraînement n’est pas effectué de façon progressive. Une progression trop rapide du volume d’entraînement (distance parcourue par séance d’entraînement et par semaine) va souvent mener à des blessures. L’intégration rapide de pentes et d’escaliers dans les itinéraires ainsi qu’une mauvaise technique de course sont également des facteurs à considérer dans l’apparition des douleurs chez les coureurs. Voici quelques recommandations cliniques générales :
- Ayez une progression graduelle adéquate et adaptée à votre état de santé.
- Courez de façon régulière et favorisez de plus petites sorties plus fréquentes.
- Écoutez votre corps et évitez les augmentations de douleur.
- Optimisez votre sommeil et votre temps de récupération.
- Variez vos activités, faites de l’entraînement croisé (musculation, vélo, natation, etc.) et évitez le repos complet.
- Consultez de façon précoce un professionnel de la santé afin d’optimiser votre biomécanique et de recevoir des conseils, dont des exercices complémentaires personnalisés pour réduire le risque de blessure.
En terminant, si la course est un sport que vous désirez explorer, je vous recommande deux autres articles afin d’éviter des erreurs et de bien planifier votre entraînement.
Bonne course,
Dre Emmanuelle, votre chiropraticienne à Mirabel
Références
Khan MCM, O’Donovan J, Charlton JM, Roy JS, Hunt MA et Esculier JF. The Influence of Running on Lower Limb Cartilage: A Systematic Review and Meta-analysis. Sports Med. 2022 Jan;52(1):55-74. doi: 10.1007/s40279-021-01533-7. Epub 2021 Sep 3.
Fredette A, Roy JS, Perreault K, Dupuis F, Napier C et Esculier JF. The Association Between Running Injuries and Training Parameters: A Systematic Review. J Athl Train. 2021 Sep 3.
Chakravarty EF, Hubert HB, Lingala VB, Zatarain E et Fries JF. Long Distance Running and Knee Osteoarthritis. A Prospective Study. Am J Prev Med. 2008;35(2):133-138.
Lo GH, Musa SM, Driban JB, Kriska AM, McAlindon TE, Souza RB, Petersen NJ, Storti KL, Eaton CB, Hochberg MC, Jackson RD, Kwoh CK, Nevitt MC et Suarez-Almazor ME. Running Does Not Increase Symptoms or Structural Progression in People with Knee Osteoarthritis: Data from the Osteoarthritis Initiative. Clin Rheumatol. 2018 Sep;37(9):2497-2504.